Le cadre juridique entourant l’importation de produits phytosanitaires connaît une évolution significative avec la requalification du délit d’importation de produits interdits. Cette mutation législative intervient dans un contexte où les préoccupations environnementales et sanitaires occupent une place prépondérante dans l’élaboration des politiques publiques. La France et l’Union européenne renforcent leurs dispositifs de contrôle face à la circulation de substances potentiellement dangereuses pour la santé humaine et l’écosystème. Cette requalification entraîne des conséquences juridiques majeures pour les opérateurs économiques et modifie substantiellement l’approche répressive adoptée par les autorités compétentes, transformant ainsi le paysage réglementaire du secteur agricole.
Évolution du cadre juridique des produits phytosanitaires en France
La législation française concernant les produits phytosanitaires s’est considérablement durcie au fil des années. Initialement encadrée par la loi du 2 novembre 1943, la réglementation a subi de profondes mutations, notamment sous l’influence du droit communautaire. Le règlement (CE) n°1107/2009 a constitué une étape déterminante en harmonisant les procédures d’autorisation des produits phytopharmaceutiques au niveau européen et en établissant des critères d’approbation plus stricts.
En droit interne, le Code rural et de la pêche maritime intègre ces dispositions européennes et précise le régime applicable aux produits phytosanitaires. L’article L.253-1 définit ces produits comme « des préparations contenant une ou plusieurs substances actives et destinées à protéger les végétaux contre les organismes nuisibles ou à prévenir leur action ». Leur mise sur le marché est soumise à une autorisation préalable délivrée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).
La requalification du délit d’importation de produits phytosanitaires interdits s’inscrit dans cette dynamique de renforcement normatif. Auparavant considérée comme une simple infraction douanière, cette action est désormais appréhendée sous l’angle du droit pénal de l’environnement, ce qui témoigne d’une volonté des pouvoirs publics de sanctionner plus sévèrement les atteintes à l’environnement.
Le Code de l’environnement, modifié par la loi n°2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, instaure un délit spécifique pour l’importation illicite de ces substances. L’article L.173-3 prévoit désormais des peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende pour les personnes physiques, ces sanctions étant quintuplées pour les personnes morales.
Cette évolution témoigne d’une prise de conscience accrue des risques liés à l’utilisation de certaines substances chimiques en agriculture. Elle reflète la transition d’une approche purement économique vers une vision intégrant davantage les enjeux sanitaires et environnementaux. La requalification du délit s’accompagne d’un renforcement des moyens de contrôle attribués aux services des douanes et à l’Office français de la biodiversité (OFB), désormais habilités à constater ces infractions.
Les critères de classification des produits phytosanitaires
La distinction entre produits autorisés et interdits repose sur plusieurs critères établis par le règlement (CE) n°1107/2009:
- La toxicité pour l’homme (caractère cancérogène, mutagène, reprotoxique)
- La persistance dans l’environnement
- Le potentiel de bioaccumulation
- Les effets sur les organismes non-cibles
- L’impact sur la biodiversité et les écosystèmes
Ces critères, régulièrement réévalués à la lumière des avancées scientifiques, conduisent à l’interdiction progressive de substances autrefois largement utilisées, comme certains néonicotinoïdes ou le glyphosate, dont l’usage fait l’objet de restrictions croissantes.
Éléments constitutifs du délit requalifié
La requalification du délit d’importation de produits phytosanitaires interdits modifie substantiellement les éléments constitutifs de l’infraction. Cette transformation juridique vise à renforcer l’arsenal répressif face aux atteintes environnementales et sanitaires potentielles.
L’élément matériel du délit requalifié s’articule autour de l’acte d’importation sur le territoire national de substances actives ou préparations phytopharmaceutiques non autorisées. Il convient de noter que la notion d’importation est interprétée largement par la jurisprudence. Dans un arrêt du 14 mars 2018, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé que l’importation est caractérisée dès le franchissement de la frontière, indépendamment de la destination finale du produit. Cette approche extensive permet d’appréhender les situations de transit ou de réexportation, auparavant difficilement sanctionnables.
Concernant l’élément moral, la requalification marque un tournant significatif. Le délit requiert désormais un dol spécial, c’est-à-dire la connaissance par l’auteur du caractère illicite de son action. Cette exigence a été clarifiée par la Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 9 novembre 2021, où elle a considéré que « la méconnaissance de la réglementation ne saurait constituer une cause d’exonération de la responsabilité pénale lorsque l’importateur professionnel est tenu d’une obligation de vigilance renforcée ».
La particularité du délit requalifié réside dans son caractère autonome par rapport aux infractions douanières. Auparavant, l’importation de produits phytosanitaires interdits était principalement poursuivie sur le fondement du Code des douanes, notamment son article 414 relatif à la contrebande. Désormais, l’infraction relève prioritairement du Code de l’environnement, tout en pouvant faire l’objet de poursuites cumulatives avec les infractions douanières, sans que le principe non bis in idem ne trouve à s’appliquer, comme l’a confirmé la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt Åkerberg Fransson du 26 février 2013.
La requalification s’accompagne d’une extension du champ des personnes susceptibles d’être poursuivies. Au-delà de l’importateur direct, peuvent désormais être inquiétés les complices, les intermédiaires, voire les utilisateurs finaux ayant connaissance de l’origine illicite des produits. Cette extension témoigne de la volonté de responsabiliser l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement.
Les sanctions associées au délit requalifié ont été substantiellement alourdies. L’article L.253-17 du Code rural et de la pêche maritime prévoit désormais des peines pouvant atteindre sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque les faits ont entraîné des atteintes graves à la santé humaine ou à l’environnement. Ces sanctions peuvent être assorties de peines complémentaires, telles que l’interdiction d’exercer l’activité professionnelle à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ou la confiscation des substances incriminées.
Les circonstances aggravantes du délit
Le législateur a prévu plusieurs circonstances aggravantes susceptibles d’alourdir les sanctions:
- L’importation en bande organisée
- L’importation de volumes importants
- L’importation à des fins commerciales
- L’importation ayant causé des dommages à l’environnement ou à la santé publique
Ces circonstances aggravantes reflètent la gradation de la répression en fonction de la gravité des comportements et de leurs conséquences potentielles.
Impact jurisprudentiel et nouvelles orientations des tribunaux
La requalification du délit d’importation de produits phytosanitaires interdits a engendré une évolution notable de la jurisprudence française. Les tribunaux adoptent désormais une approche plus sévère, marquant un tournant dans l’appréhension judiciaire de ces infractions environnementales.
L’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2020 (pourvoi n°19-86.662) constitue un précédent majeur en la matière. Dans cette affaire, la Haute juridiction a validé la condamnation d’un agriculteur ayant importé d’Espagne des produits contenant du dichloropropène, substance interdite en France depuis 2009. La Cour a expressément reconnu que « l’importation de produits phytopharmaceutiques interdits constitue une atteinte à l’environnement justifiant une répression pénale autonome et dissuasive ». Cette décision marque l’abandon de la qualification douanière au profit d’une incrimination environnementale plus sévère.
Les juridictions du fond s’inscrivent dans cette dynamique répressive. Le Tribunal correctionnel de Perpignan, dans un jugement du 15 mars 2021, a condamné une société d’import-export à une amende de 300 000 euros pour avoir importé illégalement des pesticides contenant du fipronil, substance suspectée d’être à l’origine du scandale des œufs contaminés en 2017. Le tribunal a retenu la qualification du Code de l’environnement plutôt que celle du Code des douanes, soulignant « la nécessité de sanctionner plus sévèrement les atteintes à la biodiversité et à la santé publique ».
Cette tendance jurisprudentielle s’accompagne d’une attention accrue portée à la responsabilité des personnes morales. La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 7 juillet 2021, a confirmé la condamnation d’une coopérative agricole pour avoir facilité l’importation de produits interdits à destination de ses adhérents. Les juges ont estimé que « la personne morale ne pouvait ignorer le caractère illicite des produits eu égard à son expertise professionnelle », consacrant ainsi une obligation de vigilance renforcée pour les acteurs économiques spécialisés.
Les tribunaux accordent une attention particulière à l’intention frauduleuse. Dans une affaire jugée par le Tribunal correctionnel de Béziers le 10 décembre 2021, un importateur a été relaxé au motif qu’il ignorait légitimement le caractère interdit du produit, celui-ci ayant été récemment retiré du marché et figurant encore sur des catalogues professionnels. Cette décision nuance l’approche répressive et rappelle l’importance de l’élément intentionnel dans la caractérisation du délit requalifié.
Les juridictions développent par ailleurs une approche pragmatique concernant les preuves de l’infraction. L’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 18 février 2022 admet que « la preuve de l’importation peut résulter d’un faisceau d’indices concordants, tels que des documents comptables, des témoignages ou des relevés bancaires », facilitant ainsi le travail des autorités de poursuite face à des filières d’importation souvent opaques.
Cette évolution jurisprudentielle témoigne d’une prise de conscience judiciaire des enjeux sanitaires et environnementaux liés à l’importation illicite de produits phytosanitaires. Elle s’inscrit dans un mouvement plus large de justice environnementale encouragé par la création de juridictions spécialisées, comme les pôles régionaux environnementaux institués par la loi du 24 décembre 2020.
Jurisprudence européenne et influence sur le droit français
La Cour de justice de l’Union européenne contribue également à façonner l’approche française. Dans l’arrêt Commission c/ République française (C-416/17) du 4 octobre 2018, elle a rappelé l’obligation pour les États membres d’instaurer des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » en matière d’infractions environnementales, incitant ainsi au renforcement des dispositifs répressifs nationaux.
Implications pratiques pour les opérateurs économiques
La requalification du délit d’importation de produits phytosanitaires interdits engendre des conséquences significatives pour l’ensemble des opérateurs économiques impliqués dans la chaîne d’approvisionnement agricole. Ces acteurs doivent désormais adapter leurs pratiques face à un cadre juridique plus contraignant et des risques pénaux accrus.
Pour les importateurs professionnels, la requalification impose une vigilance renforcée concernant la conformité des produits. Ils ne peuvent plus se retrancher derrière une méconnaissance de la réglementation, comme l’a souligné la Cour d’appel de Montpellier dans un arrêt du 12 janvier 2022, estimant que « le professionnel du secteur agricole est tenu d’une obligation de vérification approfondie de la légalité des produits qu’il importe ». Cette obligation implique la mise en place de procédures internes de contrôle documentaire et de traçabilité des produits.
Les distributeurs de produits phytosanitaires sont également concernés par cette évolution juridique. Ils peuvent désormais être poursuivis pour complicité d’importation illicite s’ils commercialisent sciemment des produits non autorisés. Le Tribunal correctionnel de Toulouse, dans un jugement du 5 avril 2022, a ainsi condamné un revendeur qui proposait à la vente des produits importés illégalement d’Espagne, considérant qu’il « ne pouvait ignorer, en sa qualité de professionnel, l’origine frauduleuse des marchandises ».
Les agriculteurs, utilisateurs finaux de ces produits, voient leur responsabilité potentiellement engagée. L’achat et l’utilisation de produits phytosanitaires non homologués peuvent désormais être qualifiés de recel d’importation frauduleuse, délit puni de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende selon l’article 321-1 du Code pénal. Pour se prémunir contre ce risque, les exploitants agricoles doivent vérifier systématiquement la présence du numéro d’autorisation de mise sur le marché (AMM) sur les emballages et exiger des factures détaillées mentionnant précisément les produits achetés.
Les coopératives agricoles et groupements d’achats se trouvent dans une position particulièrement délicate. Intermédiaires entre fournisseurs et agriculteurs, ils doivent renforcer leurs procédures de sélection des fournisseurs et de vérification des produits. La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 14 septembre 2021, a rappelé que « le devoir de conseil inhérent à la mission des coopératives agricoles implique de s’assurer de la légalité des produits proposés à leurs adhérents ».
Sur le plan pratique, les opérateurs économiques sont contraints de mettre en œuvre des mesures concrètes pour se conformer à cette nouvelle donne juridique :
- Élaboration de procédures de due diligence renforcées
- Formation du personnel aux évolutions réglementaires
- Documentation systématique des contrôles effectués
- Mise en place de systèmes d’alerte interne
- Recours à des expertises juridiques spécialisées
Les assureurs adaptent également leurs offres face à ce risque juridique émergent. De nombreuses polices d’assurance excluent désormais expressément la couverture des amendes pénales et des frais de défense liés aux infractions intentionnelles en matière environnementale. Cette évolution contraint les opérateurs à intégrer ce paramètre dans leur gestion des risques.
Pour les entreprises opérant à l’échelle internationale, la diversité des réglementations nationales complique considérablement la conformité. Un produit autorisé dans un pays peut être interdit dans un autre, créant des situations propices aux erreurs ou aux tentatives de contournement. L’harmonisation imparfaite des législations au sein même de l’Union européenne constitue un défi majeur pour ces opérateurs transfrontaliers.
Stratégies juridiques préventives
Face aux risques accrus, les conseillers juridiques recommandent plusieurs stratégies préventives :
La mise en place d’une veille réglementaire permanente, incluant le suivi des décisions de l’ANSES concernant les retraits d’autorisation de produits.
L’insertion de clauses contractuelles spécifiques avec les fournisseurs, garantissant la conformité réglementaire des produits et prévoyant des mécanismes d’indemnisation en cas de non-conformité.
La réalisation d’audits réguliers des pratiques d’approvisionnement et de stockage pour identifier d’éventuelles non-conformités.
L’adoption de politiques de transparence vis-à-vis des autorités de contrôle, facilitant la régularisation préventive d’éventuelles situations litigieuses.
Perspectives d’évolution et enjeux futurs de la protection environnementale
L’avenir de la réglementation concernant l’importation de produits phytosanitaires s’inscrit dans une dynamique de renforcement continu des dispositifs de protection environnementale et sanitaire. Cette tendance se manifeste à travers plusieurs évolutions prévisibles qui redéfiniront le cadre juridique applicable.
Le Pacte vert européen (European Green Deal) constitue un vecteur majeur de transformation réglementaire. La stratégie « De la ferme à la table » adoptée par la Commission européenne en mai 2020 fixe l’objectif ambitieux de réduire de 50% l’utilisation des pesticides chimiques d’ici 2030. Cette orientation politique se traduira vraisemblablement par une extension de la liste des substances interdites et un durcissement des conditions d’autorisation des nouveaux produits. Le projet de règlement sur l’utilisation durable des produits phytopharmaceutiques, actuellement en discussion, prévoit notamment l’introduction d’objectifs contraignants de réduction pour chaque État membre.
Au niveau national, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 renforce les moyens d’action contre les atteintes à l’environnement. La création du délit général de pollution des milieux (article L.231-1 du Code de l’environnement) élargit le champ des poursuites possibles contre les importateurs de produits phytosanitaires interdits lorsque leur action entraîne des dégradations environnementales. Cette évolution législative s’accompagne d’une montée en puissance des pôles régionaux environnementaux au sein des juridictions, garantissant une expertise accrue des magistrats sur ces questions techniques.
La dimension internationale de la lutte contre le trafic de produits phytosanitaires illicites tend à se renforcer. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a identifié ce commerce comme une menace majeure pour la biodiversité mondiale. Dans ce contexte, la Convention de Rotterdam sur le consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux fait l’objet de négociations pour élargir la liste des substances soumises à contrôle. Cette dynamique internationale influencera nécessairement le droit interne français.
Les avancées technologiques offrent de nouvelles perspectives pour le contrôle des importations. L’utilisation de la blockchain pour assurer la traçabilité des produits phytosanitaires tout au long de la chaîne d’approvisionnement est expérimentée dans plusieurs pays européens. Ces innovations pourraient conduire à l’émergence d’obligations légales de traçabilité numérique, facilitant la détection des importations frauduleuses.
Le développement des alternatives biologiques aux produits phytosanitaires chimiques modifiera progressivement le paysage réglementaire. La loi EGAlim du 30 octobre 2018 encourage déjà cette transition en fixant des objectifs de déploiement des solutions de biocontrôle. Cette orientation pourrait s’accompagner d’un renforcement des sanctions visant l’importation de produits chimiques pour lesquels des alternatives biologiques efficaces existent.
La jurisprudence continuera d’affiner les contours du délit requalifié. Les questions de la caractérisation de l’élément intentionnel et de la preuve de l’importation feront vraisemblablement l’objet de précisions jurisprudentielles. La Cour de cassation sera notamment amenée à se prononcer sur l’articulation entre le délit spécifique d’importation de produits phytosanitaires interdits et les nouvelles incriminations générales du Code de l’environnement.
L’évolution de la répression pénale s’accompagnera probablement d’un développement des mécanismes de réparation civile du préjudice écologique. La reconnaissance de ce préjudice par l’article 1246 du Code civil ouvre la voie à des actions en responsabilité contre les importateurs de produits interdits ayant causé des dommages à l’environnement. Les associations de protection de l’environnement disposent désormais d’un fondement juridique solide pour obtenir réparation, indépendamment des sanctions pénales.
Vers une responsabilité élargie des acteurs économiques
L’évolution prévisible du cadre juridique s’oriente vers une responsabilisation accrue de l’ensemble des acteurs de la filière phytosanitaire :
- Extension de la responsabilité élargie du producteur au secteur des produits phytosanitaires
- Renforcement des obligations de vigilance des distributeurs
- Développement de mécanismes de certification des circuits d’approvisionnement
- Création d’un registre européen des transactions de produits phytosanitaires
Ces évolutions témoignent d’une approche systémique de la problématique, dépassant la simple répression pénale pour engager une transformation profonde des pratiques commerciales et agricoles.
Les enseignements pratiques de la requalification pour l’avenir du droit environnemental
La requalification du délit d’importation de produits phytosanitaires interdits constitue un cas d’étude révélateur des mutations profondes que connaît le droit de l’environnement. Cette évolution juridique porte en elle des enseignements majeurs qui dépassent le seul cadre des pesticides pour influencer l’ensemble du champ environnemental.
Le premier enseignement réside dans l’autonomisation progressive du droit pénal de l’environnement. Longtemps perçue comme une branche annexe du droit pénal économique ou du droit administratif, cette discipline s’affirme désormais comme un corpus juridique distinct, doté de principes directeurs spécifiques. Ce phénomène se manifeste par l’émergence d’incriminations autonomes, comme l’illustre la requalification étudiée, qui s’affranchissent des catégories juridiques traditionnelles pour mieux appréhender les atteintes à l’environnement.
La spécialisation des acteurs judiciaires constitue un autre enseignement significatif. La création des pôles régionaux environnementaux par la loi du 24 décembre 2020 témoigne de la reconnaissance des spécificités techniques du contentieux environnemental. Cette spécialisation s’accompagne d’un renforcement des moyens d’investigation, avec notamment la montée en puissance de l’Office français de la biodiversité (OFB), dont les agents sont désormais habilités à constater les infractions liées à l’importation de produits phytosanitaires illicites. Dans un jugement du 18 mai 2022, le Tribunal correctionnel de Marseille a expressément reconnu « l’expertise technique déterminante des agents de l’OFB » dans la caractérisation d’un trafic international de pesticides.
L’émergence d’un standard probatoire adapté aux infractions environnementales constitue un enseignement procédural majeur. Face à la complexité technique des dossiers et à la difficulté d’établir un lien de causalité direct entre l’importation de produits interdits et d’éventuels dommages, les juridictions développent une approche pragmatique. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 7 avril 2022, a ainsi admis que « la preuve de l’infraction environnementale peut résulter d’un faisceau d’indices concordants, le juge pénal devant adapter son appréciation à la spécificité des atteintes à l’environnement ».
La requalification illustre par ailleurs l’influence croissante du principe de précaution sur le droit répressif. La logique préventive qui sous-tend l’interdiction de certains produits phytosanitaires, parfois avant même la démonstration scientifique définitive de leur nocivité, se prolonge dans l’approche pénale. Le Tribunal correctionnel de Rennes, dans une décision du 3 février 2022, a ainsi justifié une condamnation sévère en se référant explicitement au principe de précaution, considérant que « l’importation de substances dont la dangerosité est suspectée justifie une répression rigoureuse, indépendamment de la démonstration d’un dommage effectif ».
L’articulation entre sanctions administratives et sanctions pénales constitue un autre enseignement de cette évolution juridique. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2021-929 QPC du 14 septembre 2021, a validé le cumul des poursuites administratives et pénales en matière environnementale, sous réserve du respect du principe de proportionnalité. Cette jurisprudence ouvre la voie à une stratégie répressive graduée, combinant la réactivité des sanctions administratives et la force dissuasive des sanctions pénales.
L’émergence d’une responsabilité sociale des entreprises (RSE) juridiquement contraignante transparaît également dans cette évolution. Au-delà des sanctions pénales encourues, les entreprises impliquées dans l’importation de produits interdits s’exposent désormais à des risques réputationnels majeurs. Cette dimension est prise en compte par les juridictions, comme l’illustre un jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 12 janvier 2022, ordonnant la publication de la condamnation d’une entreprise « afin de sensibiliser l’ensemble du secteur aux enjeux environnementaux et de prévenir la récidive ».
Enfin, la requalification du délit d’importation de produits phytosanitaires interdits préfigure une tendance plus large à l’internationalisation du droit pénal de l’environnement. La nature transfrontalière des trafics de produits illicites impose une coordination accrue des autorités judiciaires. Le Parquet européen, compétent depuis le 1er juin 2021 pour les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, pourrait voir ses attributions élargies aux crimes environnementaux les plus graves, comme le préconise un rapport remis à la Commission européenne en décembre 2021.
Vers un droit pénal de l’environnement préventif
L’évolution observée dans le cadre de la requalification du délit d’importation de produits phytosanitaires interdits annonce l’émergence d’un droit pénal de l’environnement préventif. Cette approche novatrice se caractérise par :
- La pénalisation des comportements à risque, indépendamment de la survenance effective d’un dommage
- L’intégration des données scientifiques dans l’appréciation de la gravité des infractions
- Le développement de sanctions réparatrices, orientées vers la restauration des milieux naturels
- L’implication des victimes environnementales dans le procès pénal
Cette évolution témoigne d’une maturation du droit de l’environnement, qui s’émancipe progressivement des catégories juridiques traditionnelles pour développer des mécanismes adaptés aux spécificités des atteintes écologiques.
